Décidément, la potion libérale imposée à la Grèce depuis mai 2010 ne passe toujours pas : allongement des délais de remboursement des prêts de 110 milliards d'euros accordés par les Européens et le FMI, dégradation simultanée de deux crans de la notation de la dette publique à court terme et à moyen terme par l'agence Standard&Poor's, le 9 mai, rumeurs avec de plus en plus d'insistance de restructuration de la dette publique, déficit budgétaire toujours hors contrôle, activité en berne, climat social dégradé… Annoncé en 2000, "le bouclier euro" qui devait assurer notre prospérité à tous s'est progressivement transformé en un objet non identifié qu'il convient de soutenir à coups de milliards et qui est si fragile qu'il devient l'objet de toutes les attentions, de toutes les dépendances. Qu'on en juge.
Chaque Etat de l'Eurogroupe n'est plus libre de fixer sa propre politique économique, sa propre politique financière, et doit ajuster ses principaux ratios d'endettement et de déficit public sur le plus vertueux des Européens. A l'inverse et de manière symétrique, la fiscalité et les transferts sociaux qui sont encore de compétence nationale, doivent flirter avec le moins-disant, c'est-à-dire le gouvernement le plus libéral. Chaque attaque sur la dette souveraine d'un Etat de l'Eurogroupe – Grèce aujourd'hui, Irlande et Portugal demain, Espagne et Italie après-demain – renforce les mécanismes d'une gestion commune qui voit les pays forts prêter aux pays faibles, en échange de programmes d'ajustements structurels élaborés par eux sous la houlette du FMI, ce qui les dépossède progressivement de leurs souverainetés économiques respectives. Baisse des déficits, modération des salaires, réduction de la protection sociale et des services publics sont devenus "les incontournables" d'une bonne gestion de la dette souveraine en euro.
Alors que reste-t-il aux gouvernements de l'Eurogroupe en matière de liberté d'action face à la dictature d'un euro sujet de toutes les attentions. Que reste-t-il aux libéraux de tout poils qui nous vantaient les mérites de l'euro et se trouvent en retour progressivement corsetés dans un dédale de contraintes toujours plus nombreuses à respecter ?
Mais si le prix à payer pour l'euro avait pour contrepartie une croissance économique plus forte que celle d'autres zones économiques, si le prix à payer pour l'euro était compensé par un bien-être supérieur en Europe, on pourrait à la rigueur accepter des sacrifices. Mais rien de tout cela. Aucun bénéfice de ce type. Depuis 2000, la croissance de la zone euro est systématiquement plus faible que celle des grandes zones économiques comparables. Les inégalités s'accroissent et se creusent au sein de l'Union. Globalement, à l'exception de l'Allemagne, l'emploi industriel et l'activité en général fuient la vieille Europe qui essuie sans réagir les dumping social, environnemental et monétaire de ses principaux concurrents.
Alors à court d'arguments, les thuriféraires de la zone euro s'échinent à nous convaincre que la sortie de l'euro ou la fin de l'euro serait une catastrophe, comme si un tel système était installé une fois pour toute sans possibilité d'en changer, comme si toute évolution de ce type signifierait la fin de l'Union. Mais le simple citoyen comprend bien que les Grecs aujourd'hui, comme les Irlandais et les Portugais demain, auront bien du mal en serrant "les boulons" de leurs dépenses publiques à devenir comme par enchantement aussi compétitifs que les Allemands ou les Hollandais. Ce dont les pays du Sud de l'Europe ont urgemment besoin, c'est d'un ajustement monétaire leur permettant de retrouver des chances d'activité par rapport à leurs principaux concurrents européens.
Le simple citoyen comprend bien que ce n'est plus la lutte contre l'inflation et le niveau de l'euro qui sont prioritaires mais plutôt la quantité et surtout la répartition équitable des emplois sur l'ensemble du territoire européen. Ils ne croient plus à ceux qui nous disent que toute protection est devenue impossible, un salarié sur quatre travaillant pour l'exportation. Pourquoi mentir par omission et ne pas dire que les produits importés ont une balance supérieure en emplois aux exportations, singulièrement pour des pays comme la Grèce.
La rentabilité de l'activité d'une entreprise multinationale est systématiquement supérieure hors zone euro qu'en son sein. C'est bien pour cette raison que les grands groupes européens se délocalisent, continuent à faire de larges bénéfices, mais paient de moins en moins d'impôts en Europe. D'ailleurs dans un tel système, attention à ne pas s'extasier trop vite devant les excédents commerciaux allemands ? Il peut s'agir d'un indice de fragilité future, un indice d'inadaptation qui verrait les entreprises allemandes handicapées à terme par une délocalisation insuffisante de leurs activités, la seule porteuse de forte rentabilité dans un système qui prospère sur le socle des inégalités dans les conditions de production ?
L'euro devait être un bouclier nous assurant plus de liberté, plus de prospérité, plus d'indépendance. Il est progressivement devenu un boulet qui bride chaque jour un peu plus, qui rigidifie nos politiques économiques et financière, là où l'inventivité et la flexibilité devraient être de mise. Il est curieux que les libéraux ne s'en rendent pas compte, eux qui sont si attachés aux libertés publiques ? Il est curieux que les républicains laissent tragiquement aux extrêmes le champ libre pour débattre de ces questions. Méfions-nous des symboles intouchables qui mènent dans l'impasse. Le sort réservé à la Grèce n'est pas de bon augure.
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Stéphane Madaule est notamment l'auteur de Questions d'Europe dont la troisième édition est parue aux éditions l'Harmattan. Il a publié "L'Allemagne puissance" dans la revue Le Débat (n°162 - décembre 2010).
Stéphane Madaule, essayiste, maître de conférences à Sciences Po Paris
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/05/17/la-grece-est-sous-la-dictature-de-l-euro_1523084_3232.html
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